La villa et la ferme du Ménil (Grisy-Suisnes, Seine-et-Marne) : fin de la campagne de sondages (2024)

En fin d’été, Vincent Apruzzese, jeune docteur de l’équipe, a mené une série de sondages sur une villa romaine en Seine-et-Marne.

La ferme du Ménil (ou Mesnil) située aux limites des communes de Grisy-Suisnes et de Chevry-Cossigny (Seine-et-Marne) est attestée comme manoir seigneurial dès le XIIIe siècle, puis comme ferme au XVIe siècle. Elle présente la particularité d’avoir été fondée pour partie sur la pars urbana d’une villa gallo-romaine, encore accessible sur 40 m de longueur dans l’un des champs adjacents. Le plan théorique, connu pour l’essentiel par photos aériennes, évoque un corps de bâtiment longitudinal muni d’une galerie de façade, d’une aile thermale occidentale et de deux bâtiments annexes. Son extension maximale est inconnue mais pourrait avoir atteint les 90 m de longueur selon les dernières prospections géophysiques réalisées dans la cour de la ferme. Les premières études des assemblages céramique et monétaire conduisaient à estimer une phase d’habitat débutant dans la première moitié du I^er siècle et s’achevant vers la fin du IIIe s., ou dans la première moitié du IVe s. au plus tard. Cette durée chronologie d’occupation est aujourd’hui remise en cause.

L’année 2024 est l’aboutissement d’un premier projet d’opération programmée lancé par l’association Archéologie en Brie en 2018 associant étude de matériel, prospection aérienne par drone, prospection au sol carroyée, prospection géophysique (Analyse-GC – par Thomas Jubeau et Bastien Gouhier) et campagnes de sondages (2023 et 2024). L’objectif des sondages était de détecter le niveau d’apparition des structures, le degré de conservation et la puissance stratigraphique d’un établissement antique susceptible d’avoir servi d’assise et de carrière à une ferme médiévale et moderne, et dont seuls quelques cas analogues, peu prospectés, et jamais fouillés, ont été documentés en Île-de-France. L’une des problématiques majeures motivant cette intervention étant le lien (continuum ou césure) qu’ont pu entretenir entre eux ces deux états, a priori distincts, et plus généralement la question du poids des établissements antiques dans le tissu agricole moderne. La campagne 2023 (dir. Pierrick Tigreat), dans une démarche diachronique, intégrait justement la recherche d’éléments anciens liés à la ferme actuelle (tranchée de fondation, massif de fondation, fondation sur les vestiges de l’Antiquité, fossé, etc.), tandis que celle de 2024 (dir. Vincent Apruzzese), en collaboration avec Guillaume Huitorel (Service départemental d’archéologie de Seine-et-Marne), s’est concentrée sur la partie thermale de la villa, supposée la mieux conservée de l’établissement.

Les sondages implantés près des jardins de la ferme (sondages 1 à 3) où des restes de semelles de fondations, massivement récupérées, ont été découverts associés à un mobilier céramique pauvre, auront permis de déterminer la largeur précise de l’établissement (13,1 m) ainsi que sa date de construction, à situer vraisemblablement dans la seconde moitié du Ier s. La fouille de la partie occidentale (sondage 4 – env. 40 m²) s’est révélée plus prometteuse, mais aussi plus complexe qu’attendue, perturbée par de nombreuses fosses de récupérations ponctuelles (en « tâches de léopard ») datées pour l’essentiel du bas Moyen Âge, dont une pièce sur hypocauste (3 x 3 m), totalement détruite. Cette zone, proche des praefurnia (terre riche en cendres et en charbons) a livré de nombreux éléments typiques d’une affectation balnéaire : tubuli, pilettes, verre à vitre, mortier hydraulique, éléments de plomberie, pierres de parements, enduits peints etc.). La fosse 1030, partiellement fouillée et riche en rejets organiques (charbons et os) pourrait être le comblement détritique d’un canal de chauffe. Un échantillon charbonneux a été prélevé pour datation ¹⁴C. La découverte de deux murs perpendiculaires relativement bien préservées (fondation du mur 1026 appartenant au mur nord de la galerie de façade, et premières arases d’élévation du mur 1037 orienté nord-sud) a permis d’estimer l’altitude du niveau de sol antique (96,2 m NGF), une trentaine de centimètres seulement sous le niveau de terre végétale, ainsi que les parties inférieures du bâtiment (hypocauste 1024 ; 95,6 m). Aucun sol n’a malheureusement été retrouvé en place. Ces murs étaient recouverts par un niveau de destruction ou d’éboulement particulièrement dense (1025), d’environ 6m², au contact duquel furent retrouvés de nombreux débris d’éléments décoratifs (enduits peints colorés, calcaire fin mouluré et pierres de pavements décoratives) enrichissant la documentation ayant trait à la parure ornementale de la villa (des tesselles de mosaïques et du marbre avaient aussi été découverts lors des prospections). De la même façon, la découverte d’un certain nombre d’éléments de situles, objet utilisé lors des rituels de lustrations, pourrait laisser croire en l’existence d’un lieu de culte environnant (les vues aériennes indiquent la présence d’un édicule au nord-ouest de l’établissement).

On se félicitera de la révision de la chronologie relative, enrichie d’une phase antérieure, et donc de l’existence probable d’un établissement primitif (enduit peint et matériel précoce découvert dans le remblai encaissant les murs, contemporain de la construction de la villa), mais aussi d’une fréquentation de la villa au haut Moyen Âge (céramique carénée mérovingienne), totalement inconnue jusqu’alors, et qui reste à caractériser. Elle serait en accord avec la très longue perduration des ruines ou des soubassements de la villa dans le paysage, ainsi qu’avec la découverte de trois trous de poteaux alignés dans la tranchée n°5 matérialisant une cloison de torchis (élément carbonisé découvert à proximité), donnant par là même crédit à l’hypothèse d’une réoccupation tardive. L’idée d’une véritable césure entre l’abandon de la villa et l’émergence de la ferme forte est donc en passe d’être abandonnée. Menée par David Poilane (Archéolab Céram), l’étude du mobilier céramique récolté lors des deux dernières campagnes permettra de jeter une première ébauche de phasage. Ces résultats encourageants invitent à poursuivre l’étude de cet établissement en 2025 avec la tenue d’une fouille probatoire. 

Vincent Apruzzese